Le Contrat Positionnel

Le contrat positionnel met en relation l’infinité des formes d’expression humaines avec les limites physiques de la planète. En appliquant le principe d’égalité au niveau de l’empreinte écologique, il lie conscience écologique et épanouissement social. 

Les ressources physiques nécessaires au maintien d’un taux de rentabilité jugé satisfaisant par un marché global, ont atteint leurs limites. L’extraction des énergies fossiles a provoqué le changement climatique ; le pourcentage d’eau douce nécessaire à toute forme de vie a diminué au niveau planétaire ; les terres agricoles ont perdu leur fertilité ; la biodiversité a chuté. À ce constat s’ajoute pour les pays du sud un maintien dans la pauvreté et la disparition de toute perspective. Les formations chères destinées à satisfaire les besoins du marché sont confrontées à des investisseurs qui ne recherchent que de la main d’œuvre bon marché, et conduit donc à une émigration massive. À la situation d’extinction des ressources naturelles, s’ajoute les problèmes de conflit d’intérêt, de rapport de force et d’instabilité politique. Le nombre de pays avec un régime démocratique effectif est décroissant. 

Aujourd’hui et dans le futur les conséquences dramatiques du changement climatiques (intempéries, assèchement des réserves en eau douce, migrations..) touchent les pays et leurs différentes populations de façon très inégales et la responsabilité pour cette situation est difficile à définir étant donné que c’est la logique de rentabilité des capitaux qui est à l’origine des décisions.

Aujourd’hui la consommation des ressources est, selon les pays et les populations, très inégalement répartie dans le monde. Les différences entre les habitants sont encore plus considérables. Nous sommes confrontés au problème que les limites de nos ressources sont déjà atteintes alors que des pans entiers de populations n’ont pas encore eu le choix de profiter de ces ressources. 

Comment donner aux individus la possibilité d’agir au niveau planétaire ? 

La liberté, même si elle ne se limite pas à la consommation, ne peut cependant pas en être dissociée, comme on le voit dans les débats enflammés sur les journées sans viande ou autres. Nous vivons dans une société de consommation mondiale, ce qui ne peut pas être changé aussi rapidement que le changement climatique le rend nécessaire. 

Nous proposons donc un nouveau contrat de liberté entre tous les êtres humains, qui inclut également les générations futures. 

Conceptuellement, nous nous referons à la positionnalité excentrique du philosophe Helmuth Plessner. La théorie de Plessner nous montre que la nature de l'homme est son artificialité. Ce n'est qu'en produisant de la culture, en la façonnant, qu'il se met dans un équilibre qui lui n’est pas donné par nature. L’humain ne vit pas seulement, il doit mener une vie. La positionnalité excentrique est présente chez tous les êtres humains, quel que soit le contexte culturel, historique ou politique dans lequel ils vivent. Faire des choix, imaginer, jouer un rôle, sont les manifestations de sa positionnalité excentrique ; l’humain a besoin de se projeter pour exister. La liberté est la possibilité/modalité de vivre sa positionnalité excentrique. 

La théorie de Plessner permet d'expliquer, entre autres, pourquoi le capitalisme est plus vivant que jamais alors qu'il est responsable de tant de maux. Le besoin de création, de nouveauté, est satisfait dans le capitalisme par la consommation - dans le monde entier.

Comment faire en sorte que l’exercice de la positionnalité excentrique se fasse autrement que par une consommation énergivore et destructrice ? L’expression de sa liberté est aujourd’hui trop souvent comprise comme le droit à une consommation illimitée des ressources.

Dans le contrat social de Rousseau l’expression de la liberté atteint une limite lorsqu’elle entrave celle de l’autre. Il s’agit donc d’appliquer ce même principe à notre empreinte écologique. Il est intéressant de remarquer par exemple que la Cour constitutionnelle fédérale allemande a argumenté de manière similaire en 2021 dans sa critique des lois climatiques du gouvernement Merkel, en introduisant le terme de « intertemporaler Freiheitsbegriff » (concept intertemporel de liberté) car effectivement l’expression de la liberté pour les générations futures est menacée.

Comment peut-on mettre en relation l'exercice d'une positionnalité excentrique en Europe ou aux États-Unis, qui consomment beaucoup de ressources, avec l'exercice d'une positionnalité excentrique en Afrique qui en utilise peu ? Comment peut-on redonner aux pays maintenus dans la misère la maitrise de l’exercice de leur positionnalité excentrique?

Le contrat positionnel 

Le Contrat Positionnel se base sur le principe que tous les hommes sont égaux et sur le constat que les ressources de la terre sont limitées. Il en résulte que chaque individu sur la planète a droit au même contingent d’utilisation des ressources et chaque individu doit être rendu conscient (dans sa formation) de ses capacités d’excentrement. Le Contrat Positionnel est un contrat entre tous les êtres humains. 

La mise en œuvre du Contrat Positionnel se fait en deux étapes et sur deux axes: 

Premier axe :

1) Le développement d'un instrument qui regroupe en un seul indice l’utilisation de ressources vitales et l’empreinte environnementale. Chaque personne reçoit désormais un compte individuel avec le même nombre de points à disposition. Les achats et consommation que l'on fait entraîneront une déduction de points en fonction de l'indice. Les points doivent durer toute une vie, on ne peut donc utiliser qu'une partie des points chaque année. 

2) La mise en place d'une plateforme d'échange sur laquelle on peut vendre et acquérir des points d'autres personnes. Le commerce de points sert à tenir compte de la consommation de ressources très différentes selon les régions du monde et les individus. Agir en préservant les ressources devient soudain très intéressant sur le plan économique. Celui qui consomme peu est payé, celui qui consomme beaucoup doit payer.

Les États et les entreprises participent déjà au commerce mondial des certificats de CO2. Le temps est venu de permettre à chacun d'appréhender son action individuelle locale dans son impact global et de créer un instrument pour une action responsable. Techniquement cet instrument peut être développé avec la technologie blockchain (en utilisant l’énergie renouvelable). Il s’agit ici d’un instrument de transition, qui s’accompagne d’un deuxième axe : la mise en place de formations orientée service learning.

Le "contrat positionnel" consiste, dans le contexte africain en particulier, à faire dépendre les programmes de formation non plus du marché de l'emploi (qui entretient la pauvreté) mais de l'avenir librement voulu et choisi. Sortir de la mentalité d'un destin subi (esclavage) pour entrer résolument dans celle d'une destinée voulue (liberté) nécessite un "contrat positionnel" en positionnant l'humain africain voulu comme modèle à réaliser pour un avenir florissant pour chacun et pour tous. Le Service-learning répond à cette attente dans ce sens que cette pédagogie conduit l’apprenant à connaitre à partir des besoins sociaux concrets de son environnement. Les gens ne sont plus formés (dans nos universités/écoles) pour « fonctionner en vue et selon le principe du capital » pour le maintien et l’entretien du système capitaliste, mais plutôt en vue et selon le principe de la valorisation de l’indice de responsabilité sociale et environnementale. 

La prochaine étape est un film collectif, réalisé à partir de différents continents dans lequel interviennent expert.e.s et actrices / acteurs de la société civile.

Le groupe initiateur : 

Sylvie Boisseau, artiste, vit et travaille à Berlin, Allemagne. plus: ici

Épiphane Kinhoun, philosophe anthropologue, universitaire, ex-footballeur et actuellement vice-recteur de Université Catholique de l'Afrique Centrale, vit et travaille à Yaoundé, Cameroun. publications : ici, sur la migration: ici

Srinivas Mangipudi, artiste / chercheur, visual thinker, Goa, Inde, plus: ici

Frank Westermeyer, artiste et enseignant, travaille à Genève, Suisse, plus: ici

Ce qui lie notre équipe interdisciplinaire est l’intérêt pour la pensée de Helmuth Plessner.

Juin 2023

 

© illustrations: Srinivas Mangipudi

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